VERS L'IMPÔT MONDIAL DE 15%

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L’environnement fiscal international se modifie depuis la première prise de conscience du G7 en avril 2009.

 

fiscalité internationale

 

Sous l’impulsion du G7, du G20/30, de l’OCDE et de l’UE le paradigme fiscal a nettement évolué en dix ans environ et plus nettement encore depuis la déflagration des Panama Papers en 2016,

Les Ministres des finances du G7 ont avalisé samedi 5 juin 2021 le projet de réforme mondiale avec la mise en place d’un impôt minimal de 15%. Outre un impôt mondial sur les sociétés d’au moins 15 %, une refonte totale des règles fiscales vise à aboutir, au niveau international, à un partage plus équitable des droits à taxer entre les pays où les multinationales ont leur siège et ceux où elles possèdent leurs marchés et leurs clients.

Si l’'évasion fiscale est aussi ancienne que les impôts, au fil de cette décennie, des dizaines de pays et de territoires autonomes qui avaient bâti leur attractivité financière sur un taux faible - voire nul - d'impôt sur les sociétés (IS) et une législation fiscale accueillante protégeant le secret des bénéficiaires de sociétés créées dans leur juridiction ont dû adapter leurs systèmes fiscaux pour ne plus être considérés comme des parias internationaux.

En 2020, les Bahamas, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, ou plus près de nous, Jersey ou l'île de Man n'imposent pas du tout les bénéfices des sociétés. D'autres pays affichent un taux attractif : 9 % pour la Hongrie, 10 % pour la Bulgarie ou 12,5 % pour Chypre et l'Irlande quand la moyenne européenne était de 19,99 % (24,6 % si l'on pondère par le PIB des pays).

Mais le taux attractif d'IS n'est pas la seule caractéristique des paradis fiscaux. L'Union européenne les désigne comme des « juridictions non coopératives » qui n'échangent pas assez d'informations et qui facilitent les montages d'optimisation. La dernière édition de la liste officielle de l'UE compte douze territoires dont le Panama et des archipels dont les Seychelles. Les ONG reprochent à l'UE de ne pas y inclure le Luxembourg, l'Irlande, Chypre ou Malte.

Les multinationales ont déplacé 1000 milliards de dollars de bénéfices vers des paradis fiscaux, selon le Centre international pour la fiscalité et le développement, qui s'est appuyé sur des données de sociétés datant de 2016 publiées pour la première fois l'an dernier par l'OCDE. La totalité de ce montant colossal n'échappe pas au fisc. Mais ces opérations auraient amputé les recettes fiscales mondiales de 200 milliards de dollars. Les principaux bénéficiaires de ces relocalisations de profits sont le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse en Europe, mais aussi les îles Caïmans, Singapour, les Bermudes et Puerto Rico.

C'est bien pour récupérer ces milliards perdus que les grands pays du G20 ont intensifiés depuis la crise financière de 2008 la lutte contre l'évasion fiscale.

La réforme mondiale de la fiscalité appuyée par les pays du G7 est la dernière bataille de cette guerre au long cours. L'impôt mondial minimum de 15% devrait ainsi constituer l'un des plus puissants outils de lutte contre les paradis fiscaux.

Toute la question consiste à savoir si cette volonté sera couronnée de succès ou s’il s’agit davantage d’un effet d’annonce ou d’une mesure cosmétique voire hypocrite…

Car les réactions ne sont pas toutes unanimes.

Certains estiment la réforme trop timide : « L’accord du G7 visant à introduire un impôt minimum mondial d’au moins 15 % est insuffisant pour générer des revenus significatifs tant pour le Nord que pour le Sud », a réagi samedi l’association Icrict, un collectif d’experts en faveur d’une réforme vigoureuse de la fiscalité internationale. « Un taux d’imposition de 15 % est proche de celui des paradis fiscaux comme l’Irlande et la Suisse ».  L’économiste Gabriel Zucman, à l’origine de la création du tout nouvel Observatoire européen de la fiscalité, avait plaidé pour un taux d’au moins 25 %. Le projet de réforme est également fustigé par CCFD-Terre solidaire, au motif qu’il « avantage nettement les pays riches, où sont les sièges des multinationales, au détriment des pays où sont réalisées les activités, notamment les pays en développement ».

Pour d’autres, le contre feu s’organise déjà.

Deux États membres s’opposent déjà à ce taux jugé trop important. Pour l'heure, Nicosie et Dublin s'opposent à un taux d'impôt mondial minimum de 15 %. D’autres voix pourraient suivre.

En Suisse, face à la perspective d’un impôt minimal mondial à 15% pour les entreprises, Heinz Tännler, le ministre zougois des finances appelle à lancer une discussion entre la Confédération et les cantons.

Il existe plusieurs possibilités pour amortir la charge fiscale supplémentaire des entreprises résultant de l’impôt minimal mondial prévu à 15%, selon le ministre zougois des finances. Il appelle à lancer une discussion entre la Confédération suisse et les cantons.

L’objectif doit cependant être de se conformer aux normes internationales, déclare Heinz Tännler dans un entretien diffusé lundi par les journaux alémaniques du groupe de presse Tamedia.

Mais, ajoute-t-il, des mécanismes comme les subventions à la recherche et au développement, les allègements sur les revenus de la propriété intellectuelle (patent box), les allègements fiscaux pour les employés, ainsi qu’une réduction des taxes environnementales et des charges sociales, peuvent compenser la hausse des impôts.

Heinz Tännler lance l’idée d’une nouvelle loi fiscale. « On peut aussi envisager l’introduction d’une nouvelle loi sur l’impôt des entreprises et explorer les marges de manœuvre qu’elle offre ». Il y aurait alors deux lois fiscales différentes, explique-t-il, l’une pour les sociétés non internationales, basée sur le code des obligations, et l’autre pour les sociétés internationales, auxquelles s’appliquerait un taux d’imposition minimal des bénéfices de 15%, comme le préconisent les ministres des finances du G7.

Dans le même esprit, très prochainement, l’UE va pouvoir analyser les premiers retours des États Membres sur la directive DAC6, et notamment, la Commission pourra juger de la pertinence des moyens de contrôle que ces derniers auront mis en place pour vérifier que l’ensemble des professionnels (exemptés ou non) respecte les nouvelles règles de DAC6, comme cela a été le cas pour les directives MIFID2 et AML5.

La crédibilité de la nouvelle ère fiscale souhaitée en dépend. Sinon ce ne sera qu’hypocrisie.

 

Philippe LAURENS - Avocat fiscaliste international