Interview : Premiers mois de mise en oeuvre de la directive européenne DAC6, Me Philippe LAURENS donne ses impressions.

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Sécuritax.com a pu interviewer Me Philippe LAURENS, avocat fiscaliste international, pour recueillir ses impressions sur les premiers mois de mise en œuvre de la directive européenne DAC6.

 

Me Philippe LAURENS

 

Sécuritax : Tout d’abord merci de nous recevoir pour cet échange sur la directive DAC6. Cette dernière est entrée en application le 1er janvier 2021, comment les professionnels ont-ils réagi à ces nouvelles obligations ?

 

Me Ph LAURENS : Bonjour, j’aurais tendance à classer ces professionnels, qui sont appelés « Intermédiaires » dans la directive DAC6 en 3 grandes catégories :

  • Ceux qui ne sont pas au courant ou qui considèrent DAC6 comme un épiphénomène réservé aux autres, en clair, ils font les autruches,
     
  • Ceux qui ont intégré une démarche DAC6 dans leurs process de compliance et qui ont compris la nécessité de s’adapter et de respecter la législation de leur pays,
     
  • Et ceux, enfin, souvent de grands groupes de conseil ou d’audit ou de grandes banques internationales qui ont bien saisi la très grande disparité des règles selon les pays et qui ont une approche systémique et multi-juridictionnelle.

 

Sécuritax : Pourquoi, concrètement, parlez-vous de la nécessité d’une approche « globale » et multi-pays ou multi-juridictionnelle ?

 

Me Ph LAURENS : C’est assez simple à comprendre : DAC6 marque le début d’une nouvelle ère, celle d’une fiscalité apaisée et tendant à une uniformisation fiscale entre les états membres mais ce n’est qu’un début. Il faudra s’y adapter. Toutefois, si 80% des nouvelles règles s’imposent aux différents pays, ces derniers ont eu la possibilité d’adopter des règles spécifiques dans 20% des cas environ.

 

Sécuritax : Quelles sont ces spécificités ?

 

Me Ph LAURENS : Il serait trop long d’en faire une liste exhaustive ici mais ces particularismes nationaux concernent :

  • La notion même d’« Intermédiaires », qui est considéré comme intermédiaire ? Tous les pays ne retiennent pas le même concept comme l’Allemagne et le Royaume Uni par exemple. Exemptés, non exemptés ; et les règles qu’ils doivent respecter sont aussi différentes même en étant exemptés.
     
  • Les marqueurs qu’ils soient généraux, soumis au critère de l’avantage fiscal principal ou pas. Certains pays, certaines administrations ont eu des approches réductrices ou au contraire augmentatives par rapport à la directive DAC6.
     
  • Les impôts concernés (TVA ou pas par exemple).
     
  • Le caractère transfrontière ou pas (Le Portugal et la Pologne ont intégré à leurs législations certaines opérations fiscalement agressives même si ces dernières sont purement internes…
     
  • Et enfin, au niveau des sanctions : les différents pays ont retenu des amendes qui peuvent aller de quelques milliers d’euros à plus de 1 million d’euros avec des conséquences pénales éventuelles.


Sécuritax : Quelle différence faites-vous entre les professionnels ou intermédiaires de la première catégorie et ceux de la troisième catégorie ?
 

Me Philippe LAURENS : Dernièrement, j’ai été consulté par une grande banque internationale de la place de Luxembourg qui me présentait un outil de détection des risques DAC6 qu’ils avaient bâti en interne pour analyser les dossiers des clients de la banque. Cet outil était construit sur une base de tableur bien connu et il intégrait remarquablement les problématiques et les particularités de la loi de transcription luxembourgeoise de la directive DAC6. Toutefois, assez rapidement, nous avons détecté que les spécificités des autres pays n’étaient pas prises en compte. En conclusion, les experts de cette banque, en toute bonne foi, et en respectant à la lettre la règlementation DAC6 du Luxembourg, faisaient prendre à leur banque et à ses clients des risques importants puisque par définition les dossiers à auditer sont transfrontières et qu’ils sont soumis, comme la banque en qualité d’intermédiaire, à ces législations multiples.

 

Sécuritax : Vous voulez dire qu’un intermédiaire d’un pays, ici le Luxembourg, peut être assujetti et sanctionné par un autre pays ?
 

Me Philippe LAURENS : Bien sûr. C’est exactement cela. Aucun pays n’a prévu de ne sanctionner que ses propres Intermédiaires. Soyons sérieux. C’est l’une des conséquences et la grande complexité de DAC6 qui a laissé des portes ouvertes aux différents pays et qui ont pris des options différentes. Par exemple, l’Italie a décidé de n’exempter aucun professionnel au titre du secret professionnel. Un intermédiaire Autrichien qui serait parfaitement exempté en Autriche et qui intervient sur un schéma fiscalement agressif impactant l’Italie a l’obligation de le reporter aux autorités italiennes. Mais en toute bonne foi et pensant respecter sa loi, il ne le sait pas. D’où l’impérieuse nécessité d’avoir une approche systémique et multi-juridictionnelle.

 

Sécuritax : Mais s’il y a plusieurs intermédiaires, notamment un italien dans le schéma que vous évoquez, n’est-ce pas à lui de le reporter et pas à l’autrichien ?


Me Philippe LAURENS : C’est malheureusement beaucoup plus compliqué. La directive ne règle pas les cas où il y a une multiplicité d’intermédiaires, ni celui où ces derniers sont ressortissants de différents pays. C’est donc aux différents professionnels de faire un « état » des intermédiaires et de régler entre eux qui aura la charge de la déclaration et dans quel pays elle sera faite. Plus compliqué encore, en cas de dispositif agressif déjà déclaré dans un pays, tous les pays concernés par DAC6 n’ont pas retenu les mêmes règles de fonctionnement. Certains se contentent de la production de l’indicatif (des références) de cette déclaration préalable à l’étranger, d’autres exigent la production d’une déclaration simplifiée, d’autres encore demandent que soit fourni l’ensemble des éléments ayant déjà été déclarés dans le premier pays. Là encore, il est évident qu’une démarche multi-juridictionnelle ou « globale » est impérative pour éviter les « sur-déclarations » ou bien pire les non-déclarations. Je conseille d’ailleurs la désignation d’un « intermédiaire principal » et un échange transparent entre tous ces intermédiaires.

 

Sécuritax : En ce qui concerne les intermédiaires, ont-ils une bonne approche de la gestion des problématiques DAC6 ?

 

Me Philippe LAURENS : Dans les pays qui ont historiquement une grande pratique des échanges internationaux, les professionnels ont une bonne sensibilisation à DAC6. Dans les autres, beaucoup moins et c’est un problème grave car il va y avoir rapidement des « accidents industriels ». J’ai noté également un autre travers qui concerne les intermédiaires exemptés. Souvent ces « exemptés » se considèrent comme hors de danger. Mais ce n’est pas vrai. Pour deux raisons : ils peuvent parfaitement être exemptés dans leur pays mais ne pas l’être dans l’autre. Je vous l’ai expliqué. Mais il y a plus grave, être exempté au titre du secret professionnel ne dispense pas de notifier l’obligation de reporter à un autre intermédiaire non exempté ou au contribuable lui-même. Pour faire simple, il faut distinguer l’obligation de reporter (aux autorités) et l’obligation de notifier (à un tiers à charge pour lui de reporter aux autorités). Reporter ou Notifier, tous sont concernés.

 

Sécuritax : Un dispositif peut-il être « exonéré ou dispensé » de report dans un pays et pas dans un autre ?

 

Me Philippe LAURENS : Et oui. Certains pays ont mis en place des listes blanches d’opérations pour lesquelles il n’est pas nécessaire de reporter ou de notifier. C’est le cas de l’Allemagne ou de l’Irlande par exemple. Mais si ces dispositifs concernent un pays ayant retenu une autre approche, ils seront à reporter/notifier dans ce pays. Il convient d’être particulièrement vigilent et vous voyez qu’une approche pays par pays (pris isolément) ne peut pas convenir. C’est même pire. On se croit protégé mais ce n’est pas le cas.

 

Sécuritax : A part ces listes blanches, il y a d’autres spécificités ?

 

Me Philippe LAURENS : Oui. Chacun des pays en a mis en place un certain nombre. Pour chacun des différents marqueurs, les pays ont pu retenir des critères « réducteurs » ou « augmentatifs » par rapport à l’annexe IV de la directive DAC6. On peut citer par exemple le choix de certains pays de dispenser de report les dispositifs fiscaux agressifs qui sont conformes à l’intention du législateur, ou le choix de la Belgique de dispenser de report les opérations relevant du marqueur A3 lorsqu’ils constituent l’activité quotidienne et habituelle de l’Intermédiaire. Ou le choix encore de l’Allemagne de ne considérer comme Intermédiaire que les professionnels qui ont connaissance de la « finalité fiscale » d’un dispositif par leurs clients… Mais ce ne sont que quelques exemples pour illustrer mon discours.

 

Sécuritax : Maitre, nous vous remercions pour ces éclairages.