Article paru dans AGEFI Luxembourg : "Directive DAC6 : les premiers chiffres"

date

 

Notre partenaire, Me Philippe Laurens, a rédigé un article dans le journal mensuel AGEFI Luxembourg, spécialisé dans l'actualité financière, économique et européenne à Luxembourg. 



er

 

La directive DAC6 est entrée en application dans l’Union Européenne le 1er janvier 2021. Cette directive impose aux professionnels ou aux contribuables de déclarer aux autorités les dispositifs fiscaux potentiellement agressifs dans les échanges internationaux. 

Cette directive s’intègre dans un ensemble législatif plus large tendant à mettre en place un environnement fiscal moderne, apaisé, qui compose des avancées européennes en matière d’éthique et de transparence fiscale : AML, DAC6, consultation publique visant à lutter contre les conseillers fiscaux et autres professionnels fournissant des conseils fiscaux (collectivement appelés « facilitateurs ») qui facilitent l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, et bientôt ATAD3.

Les professionnels doivent s’adapter au nouveau règne de la tax compliance créé par cet arsenal réglementaire qui s’est profondément transformé ces dernières années.


D'autres modifications importantes du paysage fiscal international ont été proposées par l'OCDE : l'instrument multilatéral a abouti à la mise en œuvre de diverses dispositions anti-abus telles que le critère de l'objet principal (PPT) dans les conventions fiscales bilatérales visées. En 2017 et 2020, les principes de l'OCDE en matière de prix de transfert ont été révisés à la suite des actions BEPS 8-10 et 13.

Si ces modifications sont louables lorsque l’on souhaite renouveler les paradigmes et bâtir une Europe efficace, éthique et organisée autour d’une fiscalité internationale apaisée, il convient d’analyser les premiers résultats de DAC6.
 

  • Un accès impossible aux données pour camoufler un déficit déclaratif


Premier constat, il est très difficile d’obtenir des chiffres. La Commission fait barrage : malgré nos nombreuses demandes à la Commission et une plainte auprès du médiateur européen, ces instances bloquent la communication du nombre de transmissions par chacun des pays, et ce point est pourtant essentiel pour juger des diverses transcriptions nationales.

Nos demandes ne concernaient pourtant que des données anonymisées et disponibles détenues par la Commission qui s’est arrogé le droit exclusif de les publier mais sans toutefois le faire…

On sait qu’au 31 décembre 2021, 32.000 dispositifs avaient été transmis à la Commission par les divers pays pour la période de juin 2018 au 31 décembre 2021.

Au 10 octobre 2022, elle n’avait reçu que 8324 dispositifs depuis le 1er janvier 2022. Ces chiffres sont très en-deçà des prévisions et peuvent paraitre inquiétants à l’échelle européenne.

 

  • Des marqueurs inégaux

Deuxième constat, les quinze marqueurs identifiés dans l’Annexe 4 de la directive, n’ont pas rencontré la même efficience. Depuis l’entrée en application de la directive DAC6 la répartition par marqueurs a été la suivante :

t

 

Il est aisé de constater que les déclarations ont concerné très majoritairement quatre marqueurs seulement : clauses de confidentialité organisant la non-divulgation d’un avantage fiscal, dispositif fiscal standardisé, conversion de revenus en capital ou en autres catégories moins taxées, et opérations circulaires.

 

  • Des disparités inquiétantes

Troisième constat, il y a de grandes disparités entre les états membres. Tout le monde parle de la Directive DAC6 mais, du fait des libertés laissées aux états membres dans leurs diverses retranscriptions, la vérité du terrain consiste en 27 DAC6 différentes. En clair, une DAC6 différente par pays, ce qui nécessite un outil d’analyse qui doit intégrer l’ensemble de ces spécificités ou particularismes nationaux.

D’évidence, la mise en œuvre de la directive DAC6 a révélé des failles aussi graves qu’importantes. Par exemple :

- L’Allemagne et la Bulgarie exonèrent de déclaration les intermédiaires secondaires (soit de loin les plus nombreux) qui n’interviennent que pour une part dans un montage ou un dispositif,

- L’Autriche et la Roumanie exigent que l’intermédiaire ait un lien avec ces deux pays (les intermédiaires « off-shore » ne sont donc pas concernés),

- Le Luxembourg et Chypre exigent que l’intermédiaire ait un lien avec un état membre (excluant ceux situés hors CEE),

- L’Espagne exonère les intermédiaires n’ayant qu’une connaissance partielle du dispositif,

- L’Italie exonère les intermédiaires ET les contribuables dont la déclaration serait susceptible d’engager une responsabilité pénale (un comble en la matière…),

- Les Pays-Bas exigent une implication active dans le dispositif,

- Enfin, chaque pays a eu des précisions spécifiques concernant les marqueurs de l’annexe 4 de DAC6. Parfois ces spécificités sont plus exigeantes que DAC6, souvent elles sont moins contraignantes.

L’ensemble de ces disparités prive, en pratique, la directive DAC6 d’une réelle efficience, le tout, couvert par un mutisme de nos instances européennes qui parait bien hypocrite.

 

  • Des évolutions nécessaires

Même si l’on comprend que le sujet est sensible et très technique, il apparait nécessaire de rendre à la directive DAC6 les moyens de ses objectifs. Nous avons saisi les parlementaires européens de la Commission « Affaires fiscales » de ces difficultés et nous leur avons proposé diverses pistes de réflexion. Nous resterons attentifs à leurs éventuelles réponses car il est toujours à craindre qu’il soit plus facile de faire du bruit médiatique que de tenter de résoudre avec un réel courage politique certaines failles de DAC6.

Ces propositions sont aussi simples que concrètes. Il est impératif que le Parlement, et au-delà la Commission, se saisissent de mesures évidentes pour restituer à la directive DAC6 l’efficacité dont certains pays l’ont privée.

 

o   Homogénéisation des diverses transcriptions nationales :

En ce qui concerne les Intermédiaires : tous les Intermédiaires, dans tous les pays, doivent être impliqués dans DAC6 qu’ils soient :

·      primaires ou secondaires,

·      même n’ayant qu’une connaissance partielle du dispositif ou de l’arrangement,

·      quel que soit le pays de leur implantation dès lors que le dispositif produit ses effets dans la CEE,

·      et même (voire surtout) si leur responsabilité pénale est susceptible d’être engagée (Italie),

·      quitte à les obliger à transmettre leur propre obligation de déclaration à un tiers.

 

En ce qui concerne les marqueurs : une plus grande homogénéité doit être recherchée avec une plus grande précision des 15 marqueurs de l’annexe IV de DAC6.

En ce qui concerne les exemptions liées au secret professionnel : l’obligation de transférer sa propre obligation de déclaration par l’intermédiaire exempté doit être homogénéisée à l’échelle des états membres.

Le traitement des dispositifs déjà transmis : il apparait indispensable d’homogénéiser le traitement réservé aux dispositifs déjà préalablement déclarés par un autre intermédiaire ou dans un autre pays. Un fichier doit être mis en place et une déclaration du numéro de déclaration initial doit être recevable dans l’ensemble des pays selon le même fonctionnement procédural.

 

o   Mise en place d’un certificat annuel de déontologie fiscale pour les sociétés :

Afin d’impliquer les acteurs économiques, sur le principe du certificat annuel de contrôle des véhicules ou des cycles à moteur, un certificat annuel de « bonne pratique fiscale » doit être mis en place pour les sociétés ayant une activité dans la CEE.

Cette attestation annuelle conditionnera l’accès aux marchés publics, aux aides et subventions, et sera exigée par les banques dans le cadre de leurs obligations de compliance au titre du KYC de leurs clients.

 

o   Secteur financier :

Comme pour les directives AML et MIFID, il convient de manière urgente de mettre en place un contrôle des professionnels du secteur financier par leurs organes régulateurs (type CSSF, AMF, etc…).

Seul un tel contrôle est en mesure de responsabiliser les banques et organismes financiers.

L’expérience en matière de MIFID et AML a permis de constater que seule la « peur du gendarme » que représentent les sanctions de ces organismes de régulations des différentes professions a permis d’assainir ce secteur.

Il en ira de même pour les ordres des professionnels experts comptables, notaires et avocats.

 

o   Publication et libre accès aux données anonymisées :

Enfin, afin de permettre un suivi et l’efficience de la directive dans chacun des états membres, il convient de décider du libre accès aux données transmises par les états à la commission sous une forme évidemment anonyme tant en matière de nombre des dispositifs transmis annuellement qu’en matière de marqueurs ayant fait l’objet d’une telle transmission.

Ces quelques points de modifications nous paraissent de nature à assurer le parfait fonctionnement de la directive DAC6 et l’obtention rapide de ses objectifs initiaux.

Par Me Philippe Laurens, Avocat aux barreaux de Luxembourg et de Montpellier.

© Source - Agefi Luxembourg, Novembre 2022